Le 24 février 2022, la Russie lance une offensive en Ukraine. Ce qui était censé être une guerre éclaire dure depuis maintenant plus de 6 mois et laisse des traces sur la machine économique mondiale. Comment quantifier l’impact de cette guerre sur la production vitivinicole française ? Les sanctions à l’encontre de la Russie vont-elles avoir de sérieuses répercussions sur le chiffre d’affaires de la filière ?
Pénurie de matières premières, hausse des coûts liés à l’énergie… La crise du Covid et les aléas climatiques ayant déjà fortement donné du fil à retordre aux opérateurs, ces derniers doivent désormais faire face aux conséquences directes des tensions géopolitiques mondiales.
Pour beaucoup, la situation est devenue à peine tenable et un bouleversement du secteur est à prévoir dans les années, voire les mois qui viennent.
Pénurie toute azimut
La crise du Covid et les tensions entre Taïwan et la Chine avaient déjà considérablement tendu l’acheminement de matériel de vinification, à l’image des pressoirs dernières générations dont les composants électroniques peinaient à être expédiés vers l’Europe pour être assemblés. Sans parler du carton et des capsules, dont les prix ont explosé avec des délais d’attente interminables en raison de la difficile reprise du fret international.
Comme si la situation n’était déjà pas assez difficile, la guerre en Ukraine enfonce le clou : les vignerons doivent maintenant faire face à une pénurie de bouteille en verre, dont l’acquisition était également déjà compliquée en 2021, mais qui s’est aggravée avec l’offensive russe en Ukraine.
En effet, deux grands groupes verriers ukrainiens Owens et Verallia ont dû se résigner à très fortement ralentir leur activité en fermant 7 de leurs usines. Quand on sait que 75% du verre produit en Europe vient de ces deux entreprises, on peut aisément imaginer les répercussions cataclysmiques sur la filière vin : certains vignerons ont même annoncé ne pas être certains de pouvoir embouteiller leur production aux dates prévues.
Les verriers au sein de l’union européenne sont, eux aussi, touchés : des producteurs espagnols ont décidé de ralentir leur production en raison de la flambée des coûts de l’énergie. Cette pénurie fait mécaniquement augmenter le prix du verre avec un impact direct sur la trésorerie des opérateurs, dont certains refusent de répercuter entièrement ces hausses de prix sur le produit final.
L’approvisionnement en gaz, une question de vie ou de mort pour les bouilleurs de cru de Cognac
Le 28 Juillet 2022, le sénateur Les Républicains de Charente-Maritime Daniel Laurent a alerté, par le biais d’une question écrite à la ministre de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, sur « les préoccupations de la filière cognac quant à l’approvisionnement en gaz naturel indispensable pour faire fonctionner les alambics, alors que débutera en novembre 2022 la campagne de distillation ».
En effet, en cas de délestage, le gaz disponible ne serait pas suffisant pour faire fonctionner les alambics, très demandeurs en énergie (selon M. Laurent, la consommation moyenne d’un alambic chauffé au gaz est autour de 600 kilowatts heure pour produire un hectolitre d’alcool).
De plus, les opérateurs de la filière cognac ne seraient pas en mesure de stocker le raisin en cas de suspension des distillations. M. le sénateur Laurent mentionne également qu’« il convient de rappeler que le secteur des vins et spiritueux est le 2e secteur à contribuer à la balance commerciale de notre pays avec plus de 14 milliards d’euros d’excédent. La filière cognac attend des garanties pour que les volumes de gaz nécessaires soient disponibles ».
Sanctions contre la Russie, quels effets sur la filière ?
En mars dernier, le conseil européen a validé un texte de loi visant spécifiquement l’oligarchie russe. Celui-ci stipule qu’ « Il est interdit de vendre, de fournir, de transférer ou d’exporter, directement ou indirectement, des produits de luxe listés en annexe, dans la mesure où leur valeur dépasse 300 euros par article, à toute personne physique ou morale, entité ou organisme en Russie ou pour une utilisation en Russie ». Les produits de luxe sont concernés, et de ce fait certains types de vins français.
Mais regardons de plus près les chiffres des exportations vers la Russie publiée par le FEVS (Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux). On y voit que le pays ne pèse pas lourd dans la part des exportations de vin français : quand en 2021 le trio de tête États-Unis, Chine et Allemagne représentaient respectivement 4.1 milliards, 1.6 milliards et 935 millions d’EUR, la Russie quant à elle se plaçait à la 15ème place des exportations en valeur avec 198 millions d’EUR.
Dans les régions viticoles, pas vraiment de sueurs froides : en 2021, la Champagne expédiait 1,7 million de bouteilles vers la Russie, soit 1.5 % des ventes totales sur cette année. Il faut dire que Vladimir Poutine avait « préparé le terrain » l’année dernière en interdisant aux opérateurs champenois d’inscrire la motion « Champagne » en caractère cyrillique sur les bouteilles, cela étant réservé à la production de vin effervescent local. Cet épisode avait déjà contraint les opérateurs champenois à remettre en question leur politique exportatrice vers la Russie.
Pour la Bourgogne, là aussi on relativise : 17ème marché en valeur, 18ème en volume. Comme à Bordeaux, où la Russie prenait la 60ème place des exportations en valeur pour l’année 2021. Mais en Alsace, on nuance : les tendances de consommation russes avaient ouvert une brèche à la production alsacienne et les expéditions étaient en constante augmentation depuis 2015. Même si la Russie se positionnait en 15ème position à l’export, les vins alsaciens avaient enregistré une hausse de 30% des expéditions vers ce pays l’année dernière. Dommage.
On voit donc que les vins ne perdent pas un « gros client » avec la Russie, la difficulté résidant dans les hausses drastiques des coûts de production liées à la guerre en Ukraine. Un défi de plus pour une filière en pleine transition.
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M.C.