En ce printemps 2021, le gel a fait son office funeste dans quasiment toutes les régions viticoles françaises. La Champagne, appellation pourtant fortement touchée par ces gelées, va profiter du système mis en place par son interprofession pour faire face à une récolte difficile, notamment grâce à la réserve individuelle.
Les chiffres sont tombés. Pour 2021, on estime une production française globale de vin à 32 millions d’hectolitres, soit une baisse de 15 millions d’hectolitres par rapport à 2020. Les chiffres sont même inférieurs à ceux de la récolte de 2017, qui avait déjà marqué les esprits avec seulement 38 millions d’hectolitres de vin produit. La raison : le gel bien sûr, qui s’est abattu sur la grande majorité du paysage viticole français. La Champagne n’a pas été épargnée, mais contrairement à d’autres AOC/AOP, elle bénéficie d’un système lui permettant de faire face avec efficacité aux aléas climatiques.
La Champagne et son système bien huilé
Au XIXème et XXème siècle, la filière viticole française a connu des crises majeures : phylloxera, fraudes, révoltes paysannes d’une grande violence, crises économiques, guerres mondiales… En Champagne, un système reposant sur une entente pérenne entre les deux acteurs majeurs de la filière a été mis en place, à savoir entre vignerons et maisons de négoce, dont les relations au fil des années étaient parfois… difficiles dirons-nous. Il fallait donc que tout ce monde s’entende et l’interprofession s’est mise autour de la table pour aboutir à ce qu’est l’AOC/AOP Champagne aujourd’hui, considérée comme un modèle dans le monde viticole. L’un des points forts est notamment la mise en place d’un système de contrats interprofessionnels régissant la vente et l’achat de raisin, permettant de stabiliser l’ensemble de l’appareil de production.
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Comment le rendement est-il fixé en Champagne ?
Avant chaque vendange, le Comité Champagne (anciennement Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne – CIVC) décide du rendement par hectare qui sera appliqué. À l’issue des négociations entre vignerons et maisons de négoce, les annonces sont faites par les deux présidents du Comité Champagne : le président du Syndicat Général des Vignerons et le président de l’Union des Maisons de Champagne. Ce chiffre est fixé après étude de nombreux paramètres comme la qualité des raisins, l’état des stocks ou encore la situation globale du marché.
En accord avec l’INAO, un rendement annuel de base est établi à 10 400 kg/ha,un taux qui est ensuite adapté chaque année, avec un plafond établi à 15 500 kg/ha. Chiffres assez impressionnants car en convertissant en hl/ha, format de mesure communément utilisé dans les autres appellations, 10 400 kg/ha correspond environ à 74 hl/ha, rendement assez élevé comparé aux autres AOC/AOP. Cela s’explique par une densité de plantation élevée (autour des 8000 pieds de vigne par hectare), mais également par l’application d’un rendement au pressurage fixé à 102 litres de jus au maximum pour 160 kilos de raisin. Le rendement final qui en résulte est plus bas et se situe autour de 66 hl/ha.
À titre d’exemple, le rendement pour l’année 2020 fut fixé à 8000 kg/ha, un chiffre historiquement bas qui s’était basé d’une part sur une prévision de chute des ventes de champagne allant de 20% à 40% pour cause de crise sanitaire, et d’autre part sur un état des stocks élevé (l’équivalent d’environ 4 ans de ventes, soit plus d’un milliards de bouteilles). Il est intéressant de noter que cet exemple illustre les divergences qui peuvent encore exister entre les deux acteurs majeurs de la filière. Ces négociations furent difficiles, car pour les maisons de champagne, un rendement trop élevé peut être synonyme de baisse des prix à la vente, alors que pour les vignerons, des rendements trop bas les placeraient dans une situation économique difficile.
La réserve individuelle, une véritable « assurance »
Système mis en place en 1938, cette réserve doit être constituée par chaque exploitant à condition que la récolte le permette. Celle-ci est limitée à un rendement de 8000 kg/ha et peut être débloquée en cas de hausse de la demande ou pour compléter une récolte difficile, ce qui sera éventuellement le cas pour 2021 : malgré une baisse drastique de raisins récoltés en raison du gel, cette réserve va permettre aux vignerons et aux maisons de pouvoir maintenir un niveau de production et de répondre à la demande. Mais quelle demande ? N’oublions pas que la crise sanitaire est encore d’actualité et que le champagne, vin de la fête, est particulièrement touché. On peut néanmoins espérer une demande fortement en hausse une fois la crise passée, et la réserve individuelle sera là, si besoin, pour assurer l’approvisionnement.
Rappelons un élément important : la constitution de cette réserve n’est pas conseillée, elle est obligatoire, d’où la force de cette mesure.
Quoi qu’il en soit, ce système unique de l’AOC/AOP Champagne lui permet d’avoir les reins solides en cas de coups durs, et les coups durs ne sont pas près de s’arrêter : une situation économique mondiale très incertaine, sous le joug du COVID dont ont ne sait pas exactement quand il sera définitivement vaincu. Et bien entendu le réchauffement climatique, responsable entre autres d’épisodes de gel et de grêle gagnant en intensité, synonyme de récoltes de plus en plus irrégulières.
Pour en apprendre plus sur le champagne : Guide complet sur l’AOC Champagne.
M.C.